L’histoire est-elle écrite par les religions ?
Avec Pierre Bordage, James Morrow, Gérard Klein.
Religion et spiritualité
Pierre Bordage ouvre la table ronde en racontant son propre parcours. Sous l’effet d’une éducation religieuse, il dit avoir d’abord confondu son aspiration à la spiritualité avec la foi religieuse. La religion, selon lui, c’est « la récupération politico-sociale de cet élan fondamental », un emprisonnement au lieu d’une libération. En tant qu’auteur, il va vers une liberté intérieure, qui pour lui constitue « la véritable essence de la spiritualité ». C’est pourquoi dans ses livres, il veut montrer comment la religion peut devenir un système coercitif, à ne pas confondre avec la vraie spiritualité. Son premier livre d’histoire, c’était la Bible, à la fois récit historique et mythologique. Il l’a lue comme un roman d’aventure, contant le début et la fin des temps, comme une épopée.
Gérard Klein, quant à lui, considère que les religions sont un sujet collectif et universel dans leur immense variété. Chaque religion contient un projet de transformation de l’humain dans son propre cadre idéal. Il s’agit des institutions les plus pérennes de l’humanité, elles ont plusieurs millénaires et dépassent donc en âge n’importe quelle institution politique.
James Morrow veut quant à lui introduire le sujet avec une citation de Neru Gandhi qui apparaît en épigraphe du roman Les Fontaines du paradis, par Arthur C. Clarke : « La politique et les religions sont mortes. Ce dont nous avons besoin pour le futur de l’humanité, c’est de science et de spiritualité*.»
*C'est nous qui traduisons.
Une histoire orientée
Les évangiles montrent bien, selon Morrow, une réécriture de l’histoire : les quatre textes sont écrits par des gens qui n’ont pas connu Jésus, bien après la mort de ce dernier, et se contredisent entre eux. L’histoire racontée par la Bible est ici le fruit d’une sélection. En tant que documents historiques, ils sont donc peu satisfaisants.
Pierre Bordage ajoute que comme les évangiles ne sont pas des textes révélés, au contraire du Coran par exemple, ils sont sujets à interprétations et critiques. De plus, la tendance marquée par les évangiles acceptés par l'Église peut être très différentes de certains évangiles apocryphes, plus proches de spiritualités telles que le taoïsme ou les enseignements védiques. En ce sens, on peut établir un parallèle avec l’Histoire : sur une période comme la Révolution Française, par exemple, les historiens sont loin de s’accorder, ils ont un point de vue influencé. Caricaturalement, ils sont jacobins ou bien royalistes. La Bible n’est pas un document d’histoire, en ce sens que l’histoire est écrite de manière partiale : c’est l’histoire d’un peuple qui justifie sa propre démarche.
Science et religion
Qu’en est-il aujourd'hui ? Gérard Klein nous parle de deux tentatives avortées de construire une religion sur une base scientifique : le marxisme et la psychanalyse. Les deux, en effet, veulent transformer l’humain au sein de leur propre cadre idéal. Jung à son tour a voulu créer une religion laïque basée sur l’approche de l’inconscient.
Mais, comme le fait remarquer James Morrow, si l’on s’en réfère aux postulats épistémologiques établis par Karl Popper, les deux théories sont invérifiables, impossibles à falsifier, et donc non scientifiques.
Pour Gérard Klein, il y a effectivement une vision presque mystique chez Marx : le salut viendra du prolétariat. Cependant, en dépit d’une dimension spéculative, la théorie de Marx repose sur un authentique effort scientifique. De même, Freud a adopté une démarche strictement scientifique, qui constitue en une approche de l’inconscient au travers du langage. Il faut par ailleurs bien comprendre que les concepts freudiens tels que le moi, le surmoi ou le ça, ne sont pas des objets tangibles, localisables, mais des sortes « d’aides-mémoire métaphoriques ». Il s’agit, en somme, de catégories utilisées pour penser l’esprit humain.
Les dangers de la systématisation
Pierre Bordage reprend cette idée pour parler d’une « réification des catégories métaphoriques ». Ainsi, en religion on créé un système de pensée autour d’une expérience mystique qu’on n’a pas vécue, on réifie donc les catégories métaphoriques de la mystique, qui deviennent des éléments immuables d’un système de pensée figée. Selon lui, de même en science certains scientifiques agissent comme des évêques, réifiant les contenus de la science et en créant un dogme scientifique.
En Histoire par exemple, la Révolution Française est une sorte de « vache sacrée ». Il s’agit de la naissance de la république, on n’a pas le droit d’y toucher. Au sein même de la période concernée, on retrouve les mêmes problématiques, notamment avec Robespierre qui cherche à établir une nouvelle religion « rationnelle ». Selon l’écrivain, la science reproduit aujourd'hui les mêmes travers. Les systèmes de pensée, quels qu’ils soient, nous éloignent de ce que nous sommes. Et pourtant, l’exploration doit être tournée vers l’intérieur. En littérature, on peut effectuer cette exploration librement, et c’est même presque la mission de l’écrivain.
Le bénéfice du doute
Gérard Klein veut néanmoins nuancer cette critique du dogmatisme scientifique : en science, on passe son temps à auto-détruire ses propres affirmations, on se remet en question perpétuellement.
Pour James Morrow également, il y a des limites à l’affirmation qui veut que la science soit juste une autre forme de religion. La science ne va pas seulement à l’encontre des principes religieux, comme ça a été le cas avec le darwinisme, elle fournit une sorte de « vérité provisoire », qui est retravaillée au fur et à mesure de l’avancée des recherches. Einstein, par exemple, n’a pas renversé tout le système de Newton, il a simplement montré que ses théories n’étaient que des cas particuliers de la relativité générale. La science constitue donc en une communauté de l’esprit où les scientifiques construisent leur théories sur la base de celles de leur prédécesseurs.
Pour conclure, Pierre Bordage rappelle cependant que la vérité, même sur le plan de la rationalité, peut varier selon les perspectives, il faut donc toujours veiller à ne pas s’enfermer dans un quelconque système de pensée.
Pierre Bordage est écrivain et a présidé les Utopiales jusqu'à cette année. Sa bibliographie est trop imposante pour être rapportée ici, mais vous la connaissez sans doute :)
James Morrow est un romancier américain, auteur notamment de L'apprenti du philosophe, paru cette année au Diable Vauvert. Nous vous enjoignons vivement à découvrir cet auteur, d'une grande érudition mais jamais assommant. Œuvrant entre science-fiction et fantasy, il s'emploie à critiquer tous les systèmes de pensée, dès lors qu'ils sont dogmatisés.
Gérard Klein est économiste, mais on le connaît surtout pour l'énorme coup de pouce qu'il a donné à la science-fiction en France, notamment par l'intermédiaire de sa maison d'édition, Ailleurs et Demain. Auteur d'un grand nombre d'articles et d'essais critiques, il a reçu le Pilgrim Award pour l'ensemble de son œuvre.
Pierre Bordage est écrivain et a présidé les Utopiales jusqu'à cette année. Sa bibliographie est trop imposante pour être rapportée ici, mais vous la connaissez sans doute :)
James Morrow est un romancier américain, auteur notamment de L'apprenti du philosophe, paru cette année au Diable Vauvert. Nous vous enjoignons vivement à découvrir cet auteur, d'une grande érudition mais jamais assommant. Œuvrant entre science-fiction et fantasy, il s'emploie à critiquer tous les systèmes de pensée, dès lors qu'ils sont dogmatisés.
Gérard Klein est économiste, mais on le connaît surtout pour l'énorme coup de pouce qu'il a donné à la science-fiction en France, notamment par l'intermédiaire de sa maison d'édition, Ailleurs et Demain. Auteur d'un grand nombre d'articles et d'essais critiques, il a reçu le Pilgrim Award pour l'ensemble de son œuvre.
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