Ce titre est une arnaque.
L’article constitue en fait un désaveu partiel des « méthodes
d’écriture ». Je pense que ça vous rassure, car qui suis-je
pour donner des conseils d’écriture ? Personne, en effet !
En tout cas, en tant qu’écrivaine apprentie, c’est aussi un
plaidoyer contre les « méthodes Coué de l’écriture »
qui me tapent sur le système. Leur message : si vous voulez
écrire, écrivez. Ensuite, il faut se répéter toute la journée
qu’on peut le faire et se taper sur les doigts si l’on n’a pas
écrit. Se persuader que tout travail mérite une récompense, en
l’occurrence, un joli texte publié. Or, selon moi, travailler ne
suffit pas. Ce n’est qu’une partie du processus. Écrire, c’est
plus compliqué que ça. Et beaucoup plus simple, à la fois.
Comme beaucoup d’écrivains, j’ai envie de faire passer dans mon
écriture les mêmes émotions que j’ai ressenties en lisant
d’autres livres, ou en regardant des films. J’ai envie, moi
aussi, d’écrire des grandes histoires, quelque chose de
passionnant qui retourne, qui heurte, qui bouleverse. J’ai des
modèles, des références, et quand j’écris, je me dis : je
veux faire pareil.
Et d’ailleurs, la situation est un peu paradoxale : j’adore
lire, et pourtant, peu de livres m’ont secouée et ouvert les yeux
comme les films et les séries. Peu ont atteint cette perfection.
Pourquoi ? La faute au média ? Je refuse de le croire.
Non, la faute au manque d’ambition. Point. Les discours sur « je
ne suis qu’un artisan », c’est bien beau, mais ce n’est
pas en bricolant qu’on parvient à ces moments où le temps se
suspend, où l’on a des frissons partout, et tout est juste
parfait. Je pense que tout le monde a pu vivre ça grâce à des
œuvres d’art, et quand ça arrive, on se dit que l’œuvre a
atteint son but.
Ce sont ces moments-là qui comptent. Tout le reste n’est que de
l’emballage ou plutôt, il sert à nous y mener, à nous y
préparer, à nous le révéler. Tout le reste est de la mise en
place. Cela dit, si on passe trop vite sur ce travail, qui constitue
en fait l’essentiel de l’œuvre, on oublie que ce moment
n’arrivera pas si on ne prépare pas la voie, si on ne l’amène
pas au fil des pages. En construisant l’histoire, la situation qui
va provoquer ce moment extrême, en creusant sans trêve la
psychologie des personnages pour qu’ils aient complètement pris la
situation en main, qu’ils se soient emparés du cerveau et des
passions du lecteur, et que lorsque le moment arrive, ils portent
l’action, ils portent le déroulement, puis le paroxysme, et qu’ils
accouchent eux-mêmes de ce moment de grâce.
Ça doit être pour cela que les acteurs nous fascinent tellement :
dans les moments les plus beaux, ils n’incarnent pas seulement leur
personnage : ils se mettent à incarner quelque chose
d’universel, quelque chose qui est plus qu’un concept et qu’une
émotion, et qui embrasse les deux. Platon aurait peut-être dit
« l’idée en elle-même », quoiqu’il serait révolté
qu’on puisse l’atteindre par ce biais, qu’il considérerait
comme une imitation d’une imitation (si par hasard un prof de philo
me lit, qu’il me corrige si besoin). Moi je crois qu’au
contraire, l’art peut nous révéler les vérités les plus
profondes, au même titre que le rêve et parfois, la religion. C’est
là sa seule fonction. Nous parler de nous-mêmes. Je lisais dans un
site web sur les rêves que les rêves ne sont que le reflet de nos
vies. Il en est de même pour les œuvres d’art. Ce que Platon ne
semble pas avoir réalisé, c’est que parfois le reflet est plus
réel que nos propres vies. La fameuse « apparence » tant
décriée n’a que l’apparence d’une apparence. Elle fait
semblant d’être une illusion. Et c’est en la croyant illusion
qu’on se donne à elle sans condition, et qu’enfin on peut voir.
Pendant presque un an, j’ai été une bonne élève, en écriture
comme dans tout le reste, comme d’habitude. J’ai suivi les
instructions. Parce que je sais qu’il faut toujours apprendre avant
de désapprendre, et parce que je voue une grande confiance aux
écrivains talentueux. J’ai eu raison d’être une bonne élève.
Mais aujourd'hui je suis ravie de dire que c’est terminé. Non que
l’apprentissage soit terminé, ça ne l’est jamais. Mais
« l’école », oui. Je vais cesser de penser
systématiquement « efficacité » et « lecteur »
pour mieux suivre mes instincts là où ils me conduisent. Le truc
heureux avec le cerveau, c’est qu’une très grande partie de son
savoir-faire est inconscient (même si le contenu de ce savoir a été
assimilé consciemment) et qu’il agit sans décomposer l’action
au moment de l’effectuer. Bref, comme quand on conduit, quand on
parle couramment une langue étrangère, et ce genre de trucs. Donc
je ne suis pas obligée de penser à tous ces trucs techniques pour
écrire des bons bouquins. Parce que je crois que je commence à les
sentir. Poser plus de questions devient néfaste.
Pour moi, l’écriture, ça a toujours été comme de faire de la
magie. Comme se plonger consciemment dans un rêve sur lequel on
aurait une maîtrise partielle. Ça demande tout une discipline
mentale, mais ça devient de plus en plus familier. Comme un chaman
qui invoque les esprits, et parvient de plus en plus aisément à
franchir le seuil entre l’ici et l’au-delà. Écrire, c’est
l’art de rêver. Mais aussi l’art de voir, ce qui est
encore plus difficile. Voir n’est pas si aisé qu’on peut le
penser. Il ne s’agit pas de mettre en scène ses fantasmes, de
beaux chevaliers cheveux au vent, par exemple (même si ce n’est
pas exclu, hein:). Ni de répéter ce qu’on a vu. Il s’agit de
trouver sa propre vision. Une mise en scène non empruntée, non
restituée comme le font les bons élèves (être un bon élève,
j’en suis persuadée, n’a jamais demandé qu’une aptitude à
recréer des schémas et une bonne mémoire ; je ne développerai
pas ici même si j’en conviens, ça incite à la polémique). J’ai
toujours été une bonne élève en écriture. Aujourd'hui j’ai
envie d’aller plus loin. Si je me sens frustrée, c’est parce que
la copie n’a jamais été à la hauteur de l’original. Sans
blague ! C’est incroyable comme on peut passer à côté des
évidences.
On ne donne sens aux choses qu’après coup. Quand on les vit, on se
contente de les vivre, on réagit. C’est pourquoi je crois
que les histoires sont vitales. Elles nous permettent de comprendre
ce qui nous arrive. De faire que la vie soit autre chose qu’un
chaos inextricable où l’on vit et l’on meurt, on souffre, on
lutte, sans savoir ni pourquoi ni comment. Les histoires permettent
de faire autre chose que de réagir. Elles permettent de penser. Je
vais vous dire une chose : j’ai toujours été, du moins
depuis que j’en ai l’âge, passionnée de philosophie. Certains
textes m’ont renversée, Nietzsche, Hume, pour ne citer qu’eux.
Mais ce sont les histoires qui m’ont tout appris. Elles n’ont pas
besoin de discourir et de raisonner. Dans les histoires, il y a plus
de silences que de mots. Car c’est dans le non-dit, dans les
entre-lignes, que se lit la véritable histoire. L’action parle
d’elle-même. C’est, j’y reviens, la situation, ce qu’elle
débloque chez le personnage, les conséquences des événements, qui
vont porter le véritable sens. Ce qu’il y a de plus beau dans une
histoire, c’est ce qu’elle ne dit pas. Tout l’art est là, je
crois. De tant dire en se taisant. Et pour cela, il faut savoir quand
se taire. Là, on n’est plus dans aucun savoir-faire, dans aucun
artisanat. C’est sans doute ça, qu’on appelle l’art. Cette
touche d’inexplicable, d’indémontrable, dans ce qu’il y a
d’impossible à apprendre.
Alors oui, en écriture, il y a beaucoup de choses à apprendre, une
grande part de travail et d’exercice. Mais dire que cela suffit,
laissez-moi le dire, c’est une énorme connerie, et en appliquant
cette méthode, on n’aboutira qu’à des écrivaillons
divertissants. Écrire quelque chose de grand, ce n’est pas
forcément faire du Hugo. Si on redéfinissait la notion de
« talent », les choses seraient plus claires. Je ne parle
pas de génie, d’inspiration, ou je ne sais quoi. Mais vouloir
rassurer les aspirants écrivains en leur expliquant qu’ils
arriveront à tout en travaillant, c’est stupide et ça n’aboutit
qu’à des piles et des piles de bouquins médiocres. Le fait est
que l’art, c’est un tout petit peu plus compliqué. Je suis
persuadée qu’on a pas pour autant besoin de révolutionner la
littérature pour écrire un grand livre. Il suffit de savoir se
taire au bon moment – ce que Hugo, d’ailleurs, ne savait pas
faire.
Maloriel
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