mardi 29 novembre 2011

Interview avec Paul Beorn

Peux-tu nous présenter ton parcours ?

Je savais que je voulais devenir écrivain, depuis tout petit. C’était un projet à très très long terme. Je devais avoir cinq ans, je ne savais pas encore écrire. Mes parents me lisaient Bilbo le Hobbit, et je me suis dit : moi aussi je veux écrire un roman comme ça. J’ai fait des études sans trop savoir ce que je voulais faire, parce que je voulais être écrivain, et les études n’existaient pas pour ça. On m’avait dit, écrivain, ça ne te nourrira pas. Donc soit je me mariais avec une femme riche, soit je devais avoir un travail. J’ai choisi un travail qui me permettait d’écrire. C’est tout de même un travail prenant, mais pas un poste de direction, ce qui me laisse les week-end libres. J’ai fait une hypokhâgne, mais je ne voulais pas être prof. Je suis passé en khâgne, et j’ai fait Sciences Po à Bordeaux, puis une année de prépa à l’ENA. Ça m’a permis de choisir un travail dans l’administration qui me plaît vraiment. Je suis inspecteur de la répression des fraudes. Je recueille les plaintes des consommateurs et je vais voir sur place. C’est un travail très varié, qui se fait surtout sur le terrain. C’est une source d’inspiration formidable.

Tu travailles à mi-temps ?

J’ai travaillé à temps plein jusqu’à récemment, là j’ai pris un quatre-vingt pour cent, ce qui me laisse une journée par semaine pour écrire. J’écris la nuit, aussi.

J’aimerais que tu nous parles de ton fameux blog : quand est-ce que tu as commencé, et pourquoi ? Qu’est-ce que ça t’a apporté ?

Il y a un an, deux ans. À l’époque, je cherchais des conseils d’écriture. J’ai cherché sur Google et j’ai trouvé pas mal de choses, mais peu qui soient intéressantes. Je me suis dit : maintenant que j’ai appris des choses, je vais essayer de donner des conseils qui pourraient servir, et que j’aurais aimé trouver à l’époque où je commençais.

J’ai moi aussi cherché. En France en tout cas, rien ni personne ne nous apprend à écrire. On est obligés d’apprendre sur le tas. J’ai trouvé que du coup, ton blog était très instructif. Je crois que c’est l’un des seuls qui existent sur le web ?

Je ne le dirai pas, parce que je ne veux pas céder à la concurrence (rires). Après, on est plus sensibles à certains conseils que d’autres. C’est bien qu’il y en ait plusieurs. Mais c’est vrai qu’il n’y en a pas tant que ça, des blogs vraiment intéressants.

Est-ce que tu penses que ce type de blog est plus développé dans les pays anglo-saxons ?

Je ne sais pas trop. Ce que je sais par contre, c’est qu’il y a des écoles, notamment aux États-Unis, où on nous apprend à devenir écrivain. On le ressent aussi dans la critique, on sent que c’est des gens qui ont appris à écrire, ils sont moins dans le coup de coeur « j’aime », « j’aime pas ». En France, ça manque, on a l’impression qu’écrire un roman, c’est un travail solitaire, on a le talent ou on ne l’a pas, et il n’y a rien à faire. Pour moi pas du tout. J’ai toujours eu l’impression que j’écrivais mal, et qu’il fallait que j’apprenne. C’est comme un artisanat, ébéniste ou plombier, on apprend en permanence. D’ailleurs, c’est ce qui est passionnant, je n’ai pas fait le tour du sujet.

Tu vois ta publication relativement récente comme un aboutissement de tout ce travail-là ?

Oui, quand j’ai su que j’allais être publié, j’ai considéré ça comme un aboutissement et je me suis aperçu très rapidement que c’était une erreur monumentale : en fait c’est le début de quelque chose de complètement différent, c’est le début d’une nouvelle étape. Comme je le disais, ce n’est pas parce qu’on a publié que ça y est, on sait écrire. Oui forcément, on sait un peu écrire. Mais on a encore énormément de choses à apprendre.

Qu’est-ce que ça a changé, alors ? Ça t’a donné une légitimité, de la confiance en toi ?

Vis-à-vis de moi-même, j’ai toujours eu la conviction intime que j’étais un auteur, que j’étais fait pour ça. C’est peut-être complètement crétin, mais c’est le genre de chose qui ne s’explique pas, et qui porte, qui permet de se dire : « je ne suis pas publié, c’est pas grave, je le serai un jour, et je continue quand même ». Vis-à-vis des autres, ça me permettait de donner des conseils, d’en dire un peu plus , de donner mon point de vue personnel. J’ai écrit un roman, même si les conseils ne conviennent pas aux lecteurs, au moins j’ai cette légitimité, je ne suis plus tout à fait n’importe qui, même si je ne suis pas encore un auteur très célèbre.

As-tu quelque chose d’autre de prévu avec les éditions Mnémos ?

J’ai envoyé un manuscrit il y a trois semaines. J’ai également envoyé un manuscrit pour la jeunesse à un autre éditeur.

Et en ce moment, tu travailles sur quoi ?

Sur le tome 2 du roman que j’ai envoyé à Mnémos. C’est de la fantasy historique, comme dans La Pucelle. Cette fois, la période qui m’intéresse, c’est celle des Cathares. C’est dans un monde qui ressemble à la France des Cathares, mais avec de la magie. Les Cathares ont survécu à la croisade grâce grâce à des forces occultes dont on va essayer de découvrir la nature.

Pourquoi est-ce que tu as choisi la fiction pour aborder ces sujets, pourquoi utiliser le biais de l’imaginaire ?

D’abord, ce n’est pas une obligation. Je pourrais écrire autre chose, et d’ailleurs j’ai commencé par autre chose, parce que j’ai fait une hypokhâgne, que ce n’est pas une littérature que mes copains lisaient et que ce n’est pas considéré comme sérieux. Après vingt ans, tu te dis qu’il faut lire des choses sérieuses. Heureusement, un copain m’a offert un roman de fantasy, et je me suis dit que la fantasy était un moyen de dire des choses que je ne pouvais pas dire avant. Ce qui me plaît aussi, c’est le roman d’aventure. Et pour écrire un roman d’aventure, à part le policier, dont la forme ne me convient pas, ce n’est pas possible autrement que par le biais de l’imaginaire. Ça permet de dire plein de choses sur notre monde tout en étant beaucoup moins lourd, parce qu’il y a un décalage, une interprétation, on parle par métaphore. On peut le prendre au premier degré, ou voir un peu au-delà, le lecteur fait son choix.

Ce qu’il y a de plus intéressant, c’est donc plus la mise en situation que le parcours d’un individu ?

Quand je commence un roman effectivement, j’ai d’abord une idée, pas un personnage. Mais le personnage apparaît tout seul. C’est complètement lié, je pense.

En combien de temps as-tu écrit La Pucelle ?

J’ai écrit le premier tome en trois mois. J’ai mis deux ans avant d’écrire le deuxième tome. Mais à l’époque, personne ne m’attendait. J’ai écrit un autre roman entre temps, et je m’y suis remis. J’ai mis beaucoup de temps à faire le synopsis. C’est plus dur un deuxième tome, on a déjà le premier, on ne peut pas dire n’importe quoi, partir sur d’autres idées. J’ai mis six mois, un an. J’écris assez vite. Mais une fois que c’est écrit, ce n’est pas terminé. On le fait lire à ses copains, on le corrige. Moi, je suis un correcteur fou. Ce roman, j’ai du le lire 500 fois, je ne peux plus le voir. Je commence juste à pouvoir le relire avec plaisir. Dans mon ordinateur, je dois avoir 150 versions du roman.

Eh bien, merci beaucoup !

Merci à vous !

Utopiales 2011 : compte-rendu de conférence

L’imaginaire américain

avec Natacha Vas Deyres, Gilles Ménégaldo, et Glen Cook

Un monde nouveau

L’imaginaire américain, c’est d’abord l’imaginaire du Nouveau Monde, qui véhicule un ensemble de croyances mythico-géographiques autour du paradis terrestre. Lequel existerait bel et bien et se situerait en Amérique - c'est du moins la conception en vogue au moment de sa découverte.
La littérature n'a pas retenu grand-chose du dix-septième siècle, très puritain. L’imagination était alors coupable aux yeux des colons qui tentèrent d'en faire disparaître les productions.
Au 18ème siècle, cependant, la jeune Amérique tenta de conquérir son indépendance artistique en se détachant de l’influence du Vieux Continent. Les premières tentatives en ce sens furent donc des réadaptations de genres européens, afin de les ancrer dans un cadre spécifiquement américain. Ainsi, le roman gothique fut transposé aux États-Unis, dans les œuvres de Washington Irving, Edgar Poe, Nathaniel Hawthorne...

Washington Irving

Dans cet imaginaire proprement américain, émerge d’abord le concept de « wilderness », une nature indomptable, inconnue, immense et dangereuse. 
Avant de dire un mot de Poe, figure majeure si l'en est, Gilles Ménégaldo veut rappeler l’importance d’un autre auteur fantastique, Washington Irving. Il est l’auteur de Sleepy Hollow, paru en 1820, une nouvelle gothique dont la fin est porteuse d’un rêve typiquement américain : Ichabod Crane part vers l’Ouest, dans l’espoir de tout recommencer. On retrouve ici le mythe de la conquête de l’Ouest, qui est aussi une quête du recommencement. Washington Irving est également un précurseur de la science-fiction : dans sa nouvelle Rip Van Winkle, le personnage s’endort pour une période de vingt ans et se réveille dans une Amérique totalement bouleversée...

Quelques mots sur la science-fiction américaine

Natacha Das Deyres nous donne un cours express d’histoire de la SF américaine : dès les années 1910-1920, le space opéra apparaît en Amérique. Autour de l’imaginaire de la frontière et de la « wilderness », cette étendue indomptable, se construit l’imaginaire cyber-punk, où la wilderness devient le cyber espace, une frontière virtuelle au-delà de laquelle on ne maîtrise rien (cf. Neromancer, de William Gibson). On retrouve ici l’imaginaire du pionnier : il franchit les frontières et explore les territoires inconnus, qu’on peut mettre en parallèle avec un territoire intérieur, l’inconscience.

Lovecraft et l’Amérique

Un autre auteur important, dont nous parle maintenant Gilles Ménégaldo, est Lovecraft, dont l’œuvre se situe entre le fantastique, l’épouvante et la science-fiction. Il commence comme un imitateur de Poe, mais très vite, il construit son propre imaginaire, dans lequel on rencontre un troublant « relativisme cosmique », où par exemple l’Amérique n’est qu’un épiphénomène dans l’histoire de l’humanité. De même, dans Les Montagnes Hallucinées, une équipe scientifique envoyée au pôle nord découvre des extraterrestres qui nous ont créés, et pour lesquels nous ne sommes que des jouets amusants. Dans le monde de Lovecraft, l’Amérique est contaminée de l’intérieur, peuplée de créatures capables d’asservir l’humain. L’immigration est ainsi associée aux extraterrestres, les villes deviennent cauchemardesques. On a ici une authentique « xénophobie », la peur de l’altérité, de l’étranger, qui prend la forme chez Lovecraft d’extraterrestres, de dieux monstrueux, « d’entités » plus vieilles que l’univers... On ne peut parler de Lovecraft sans évoquer Howard, qui fait preuve d’une grande érudition historique et qui, à travers son œuvre, établit une histoire de l’homme à travers une histoire de la violence.

Pour conclure... Le super-héros américain

Qu’en est-il des super-héros, qui effectuent actuellement leur grand retour ? Selon Natacha Das Veyres, ils sont apparus dans les années 30, se sont éclipsés pendant la période de la Deuxième Guerre mondiale, avant de revenir en force aujourd’hui. Avec le temps, les super-héros sont de plus en plus attirés par un côté obscur, parfois sous l’effet de forces symboliques du mal. Par exemple, la personnalité de Spiderman est modifiée par un extraterrestre, ce qui le rend « maléfique ». L’extraterrestre est une figure qui représente l’altérité de deux manières opposées : dans Alien, elle représente clairement le mal, et peut même être interprétée comme une vision du diable. À l’opposé, l’extraterrestre de Spielberg représente l’altérité bienveillante, ouverte, à travers laquelle on peut apprendre et évoluer. Gilles Ménégaldo remarque que le rejet de l’altérité est bien visible dans ces nombreux films catastrophe où l’extraterrestre représente l’altérité dangereuse qu’il faut éradiquer, avec laquelle il est absolument impossible de communiquer. En tout cas, l’imaginaire américain moderne marque une grande tendance : c’est l’hybridation des genres, et le mélange des tonalités. Aujourd'hui, on peut même voir des western-films d’horreur !

Glen Cook est le célèbre auteur du cycle de la Compagnie Noire, mais il a brillé par son absence de répondant durant cette conférence, aussi je n’ai pas retranscris ses rares et brèves interventions.

Natacha Vas Deyres est professeur agrégée de Lettres Modernes, et spécialiste de la science-fiction contemporaine. Elle a récemment dirigé la publication d’un recueil d’études universitaires, L’Imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction. Pour plus d’information, voir la présentation du site Actu SF.

Gilles Ménégaldo est professeur de littérature américaine et de cinéma. Il a notamment écrit un grand nombre d’articles dont certains sont disponibles sur la base de donnée Cairn. Ça a l’air passionnant, alors pour vous donner envie à vous aussi, voici quelques titres : « De l’écrit à l’écran : Dracula, avatars et mutations d’une figure gothique », « Le système des couleurs dans Sleepy Hollow de Tim Burton : hommage et signature d’auteur », « Résurgences gothiques et société postmoderne dans la littérature d’horreur populaire », etc.

jeudi 24 novembre 2011

Interview avec Thomas Geha

On a regardé ton blog ces derniers temps, et les critiques de ton dernier roman, La Guerre des Chiffonneurs. On a été un peu surprises par la chronique de Nébal : il a été très dur avec toi !

Oui, mais je m’en fous. Il fait ce qu’il veut, il critique des bouquins avec une certaine honnêteté intellectuelle et une certaine sincérité. Je l’ai bien cherché, c’est moi qui ai dit à mon éditeur de lui envoyer le roman, je suis un peu pervers moi-même. Je savais très bien comment allait se présenter sa chronique, j’ai pas été surpris du tout. Moi, ça ne me touche pas du tout. Je sais que ce bouquin-là n’est pas pour tout le monde. La Guerre des chiffonneurs, c’est publié chez Rivière Blanche, c’est un roman de gare...

Tu appelles ça toi même un roman de gare ?

Oui, tout à fait, pour moi ce n’est pas une insulte, le roman de gare c’est tout un art.

C’est ça qui me surprend, tu me sembles être dans un créneau très difficile.

C’est totalement assumé, Rivière Blanche n’a jamais caché sa ligne éditoriale, ils reprennent quand même la maquette du Fleuve Noir anticipation des années 70. C’étaient des bouquins qu’on achetait à la gare SNCF, qu’on lisait dans le train, et à la limite qu’on jetait après, qu’on oubliait tout de suite après la lecture. Mais moi ça me convient parfaitement. Si la personne qui le lit passe deux heures agréables dans le train, même si elle l’oublie après, je suis très content. Le livre ne se prend pas pour autre chose de toute façon. Ça n’empêche que je me suis éclaté à l’écrire, je suis quand même relativement content du bouquin.

C’est ça qui m’épate avec toi : contrairement à beaucoup de gens, tu as l’air d’assumer parfaitement de faire du divertissement, alors que la littérature est rarement considérée comme un divertissement.

Ah mais ça c’est typiquement français. Les anglo-saxons ne fonctionnent pas du tout comme ça, les Allemands non plus. On a qu’à voir comment les bouquins marchent encore en Allemagne. Quand on voit que la saga de science-fiction de Perry Rhodan, qui a plus de 2000 romans dans sa collection et que ça se vend encore à 100 000 exemplaires... le livre n’est pas mort en Allemagne. Mais ils ont gardé cet esprit populaire, ils lisent des romans de gare et ils s’en fichent. En France on n’a pas trop cet esprit-là, on a une culture littéraire, une grande culture, les plus grands auteurs du monde et de l’histoire de la littérature. On ne se prend vraiment pas pour des « merdes », désolé d’utiliser ce terme, mais on est très élitiste en France. La littérature populaire a toujours été mise de côté. Pourtant la littérature populaire n’est pas synonyme de merde, justement. Il y a de l’excellente littérature populaire. Dumas, c’était pas autre chose. Même Balzac ou Zola à leur époque n’étaient pas forcément considérés comme les plus littéraires, maintenant ils sont étudiés partout, et même à notre grand désespoir parfois. Ils étaient considérés comme des auteurs populaires, contrairement à des Flaubert, par exemple, qui ciselait tellement ses textes que ça en devenait trois fois sur quatre extrêmement chiant à lire. Salâmbo, c’est extrêmement ciselé, bien pensé, c’est baroque, c’est très beau, super enrichissant à lire, mais globalement, quand on finit le bouquin, on se dit qu’on s’est bien fait chier quand même. Donc non, je n’ai pas de problème avec ça, j’écris de la littérature de divertissement, pas que d’ailleurs, je me fais plaisir. J’ai pas l’impression d’être une sorte de monstre. Je le vois bien sur les salons, sur les ventes en librairie, je reçois des mails : il y a des gens qui adorent Le Sabre de Sang ou les Alone. L’autre jour, j’ai reçu un mail d’un gamin de treize ans que j’ai vu lors d’une rencontre à la médiathèque de Quimperlé, pour me dire qu’il avait adoré A comme Alone, que c’était son premier livre de SF et que maintenant il avait envie d’en lire d’autres. C’est aussi à ça que sert un bon roman de littérature populaire, ce sont des romans accessibles. Notamment pour les gamins, c’est une ouverture vers la lecture. Si j’engendre des choses comme ça en écrivant des bouquins comme Le Sabre de Sang ou les Alone, je suis très content.
Après, comme je le dis, je peux écrire autre chose. Mes nouvelles, je ne les écris pas de la même façon, pas avec le même horizon d’attente. Je les écris purement pour le côté expérimentation de la forme, du fond, et aussi pour le plaisir, et parce que je sais que ce n’est pas avec une nouvelle que je vais gagner ma vie. J’ai ce droit-là, je peux me faire plaisir comme je veux, même si la nouvelle n’est pas publiée. Effectivement elles sont peut-être un peu plus littéraires et moins accessibles que les romans, et encore ça reste à prouver car je n’ai pas l’impression d’être un auteur qui cherche la complexité, à part un peu dans la forme, pour les nouvelles.

À ce propos, as-tu été sollicité pour publier un recueil de nouvelles ?

J’ai un recueil de nouvelles qui sort en février aux éditions Critic, qui s’appelle Les Créateurs. Il contient six nouvelles, sélectionnées parmi celles que l’éditeur et moi considérons comme mes meilleures. elles sont pour la plupart déjà parues dans d’autres supports. Sumus Vicinae a été publiée dans l’anthologie Flammagories chez Argemmios, Là-bas, une nouvelle qui se passe à Prague a été publiée dans la revue Lunatique. J’ai sélectionné les textes que je préférais mais dans une optique un peu particulière, avec cette idée sous-jacente de création, qui me fascine. D’où on vient, qu’est-ce qu’on fait là ? Des questions que tout le monde se pose mais que parfois, on n’a pas vraiment envie d’explorer, parce que c’est effrayant de ne pas connaître notre place dans l’univers ni ce qu’on y fait. Quand j’écris des nouvelles, c’est souvent avec cette optique de voir cette idée de la création par le petit bout de la lorgnette, avec des personnages qui ont des fêlures, qui sont en quête d’eux-mêmes, ou qui se situent dans des univers complètement incohérents par rapport à celui que nous connaissons. On a donc sélectionné ces nouvelles par rapport à cette thématique-là. Après, les nouvelles sont assez différentes. La première par exemple, c’est une uchronie fantastique qui s’appelle La Voix de Monsieur Ambrose. Tu as un personnage qui est un acteur de théâtre, en 1888 si mes souvenirs sont bons. Ce qui m’a amusé dans cette nouvelle-là, c’est le côté créateur d’un acteur à cette époque-là, où il n’y avait pas toute la technologie qu’on a maintenant. Quand on était acteur, il fallait une voix qui portait pour accéder aux grandes salles. Là j’ai un acteur très talentueux, mais qui n’a pas la voix suffisante pour passer des petites salles aux grandes salles. Il a un certain succès à un moment, mais on finit par l’oublier parce qu’il ne peut pas accéder aux grandes salles. Et puis il y a le côté fantastique, quand il découvre une sorte de manuscrit coincé dans la reliure d’un Jules Verne, qui est devenu le Victor Hugo de ce dix-neuvième siècle complètement réinventé. Sa vie va basculer lors d’une audition qu’il va passer juste après, où sa voix va complètement changer et avoir la force suffisante pour accéder à ces fameuses grandes salles, et évidemment il ne sait pas d’où ça vient, le nœud de l’intrigue repose là-dessus. Les autres nouvelles sont dans cette veine-là, avec cette recherche de soi, des quêtes intérieures.

En tant qu’éditeur, tu recherches plus des romans populaires ou plutôt le côté expérimental, ou les deux ?

Alors la ligne éditoriale d’Ad Astra est absolument limpide et claire : je cherche du planet-opera ou du space-opera. Donc ce sont des genres qui appellent l’aventure, le côté populaire m’intéresse. Par contre, je ne me restreins pas à ces genres : j’ai une collection qui s’appelle Hors-Collection (sic), et où je mets absolument ce que j’ai envie de mettre. Ça marche au coup de cœur. Même si l’auteur a déjà fait quelque chose qui a fonctionné chez un autre éditeur, je ne vais pas le publier parce qu’il va en vendre plein. Je n’en ai rien à faire de ça, il faut que le texte me plaise, qu’il m’emporte, qu’il me fasse voyager. Les critères sont les mêmes dans la collection planet-opera, mais je me permets une plus grande ouverture dans le Hors Collection. J’ai publié une anthologie, Contes de villes et de fusée, avec des contes revisités, j’ai publié aussi le sketchbook d’Eric Scala qui est un livre d’art, le Sanshodo de Jean Milleman, fix-up de trois nouvelles pas vraiment du space-opera, même s’il y a des extraterrestres, c’est plutôt de la SF un peu philosophique, basée sur la philosophie zen entre autres. C’est très beau, limpide, super agréable à lire. Ce sont des livres qui m’ont surpris, que j’ai eu envie de publier. Je m’autorise tout. Si un auteur me plaît, je peux même aller le voir et lui demander s’il a quelque chose. C’est comme ça que ça se passe généralement. Je vais faire un recueil de nouvelles de Danielle Martinigol qui est connue comme un auteur de jeunesse. Ce sont des nouvelles qu’elle a publié au cours de sa carrière, des nouvelles adultes. Elle n’a jamais publié aucun seul ouvrage adulte, donc je répare cette erreur, cette incohérence. J’essaie de réparer des erreurs en publiant des bouquins que d’autres éditeurs ne publieraient peut-être pas et ne penseraient pas forcément à publier. Les recueils de nouvelles, personne n’en publie vraiment (Griffe d’Encre est une exception). Moi, je m’en fiche. J’adore les nouvelles, je publie des nouvelles. J’ai plein de projets dans ce sens-là. Par exemple, j’avais bien aimé deux romans chez Bragelonne, les romans Ta-shima d’Adriana Lorusso. Là c’est du pur space-opera. Je ne lui ai pas demandé un roman — d’ailleurs la série est arrêtée chez Bragelonne, voilà pourquoi je m’y suis finalement intéressé — on en a discuté, avec Adriana qui est une femme adorable et très talentueuse, et on a décidé de faire un recueil de nouvelles qui se passe dans cet univers-là. Vous voyez, je fais ce que j’ai envie de faire. J’ai pour l’instant cette liberté-là.

Quelle originalité on peut avoir dans un genre précis, comme le space-opera ? Tes textes sont souvent pas mal dans l’hommage, qu’est-ce qu’on peut apporter en revisitant quelque chose qui a déjà un certain passé ?

Je vais te donner une réponse assez simple : je pense que les auteurs passent leur temps à revisiter quelque chose qui a déjà été fait, et ce depuis l’Antiquité. On réinvente la matière qui préexiste déjà. Il y a deux génies peut-être par générations, qui arrivent à trouver des idées vraiment originales, sinon on réutilise la matière déjà existante, et on essaie de trouver des angles nouveaux, et à travers eux, on offre notre personnalité d’auteur. Je suis pas mal dans l’hommage, mais de moins en moins. Ça m’éclatait au départ, c’est quelque chose de très fun à faire. Mais au fur et à mesure qu’on écrit, on trouve sa personnalité. Pour A comme Alone c’est clairement un hommage à Julia Verlanger, mais dans Le Sabre de sang, l’hommage est déjà moins clair. Le Sabre de sang 1 est encore dans ce ton là, mais le tome 2 est totalement différent. Il n’est pas écrit de la même façon, ce n’est pas le même personnage principal et je me suis encore plus détaché de mes influences. Petit à petit, on acquiert notre personnalité d’auteur. Elle est déjà là, bouillante, mais il faut qu’elle s’affine, qu’elle s’affirme. Je pense que malgré tout que je serai toujours quelqu’un qui fera des petits clins d’œil dans ses livres car j’ai cette culture-là, de fan, de lecteur. J’ai envie de faire transpirer ça dans mes livres, on ne peut pas oublier ceux qui nous ont précédé car ils ont fait de nous ce que nous sommes.

C’est justement ton parcours de lecteur qui t’a donné envie d’écrire des romans ?

C’est une question un peu difficile, car j’ai commencé à écrire à 12 ans. À cet âge-là, on ne pense pas à rendre hommage, on fait de la copie. Quand j’étais gamin, je faisais du roman de chevalerie. Il faut bien démarrer par quelque chose, et on démarre par la copie, parce que des gens sont passés avant nous et ont écrit des choses qui nous ont tellement plu qu’on a d’un seul coup l’envie d’aller voir l’étape supérieure, c’est-à-dire de faire comme eux. Pour prolonger le plaisir.

Merci !

De rien, ça m’a fait plaisir !

Utopiales 2011 : compte-rendu de conférence

ActuSF propose déjà les vidéos des conférences, mais pour les flemmards, voici la version courte ! L'idée étant de synthétiser les idées abordées de manière à vous offrir quelques pistes de réflexion.

L’histoire est-elle écrite par les religions ?


Avec Pierre Bordage, James Morrow, Gérard Klein.

Religion et spiritualité


Pierre Bordage ouvre la table ronde en racontant son propre parcours. Sous l’effet d’une éducation religieuse, il dit avoir d’abord confondu son aspiration à la spiritualité avec la foi religieuse. La religion, selon lui, c’est « la récupération politico-sociale de cet élan fondamental », un emprisonnement au lieu d’une libération. En tant qu’auteur, il va vers une liberté intérieure, qui pour lui constitue « la véritable essence de la spiritualité ». C’est pourquoi dans ses livres, il veut montrer comment la religion peut devenir un système coercitif, à ne pas confondre avec la vraie spiritualité. Son premier livre d’histoire, c’était la Bible, à la fois récit historique et mythologique. Il l’a lue comme un roman d’aventure, contant le début et la fin des temps, comme une épopée.

Gérard Klein, quant à lui, considère que les religions sont un sujet collectif et universel dans leur immense variété. Chaque religion contient un projet de transformation de l’humain dans son propre cadre idéal. Il s’agit des institutions les plus pérennes de l’humanité, elles ont plusieurs millénaires et dépassent donc en âge n’importe quelle institution politique. James Morrow veut quant à lui introduire le sujet avec une citation de Neru Gandhi qui apparaît en épigraphe du roman Les Fontaines du paradis, par Arthur C. Clarke : « La politique et les religions sont mortes. Ce dont nous avons besoin pour le futur de l’humanité, c’est de science et de spiritualité*.»

*C'est nous qui traduisons.

Une histoire orientée


Les évangiles montrent bien, selon Morrow, une réécriture de l’histoire : les quatre textes sont écrits par des gens qui n’ont pas connu Jésus, bien après la mort de ce dernier, et se contredisent entre eux. L’histoire racontée par la Bible est ici le fruit d’une sélection. En tant que documents historiques, ils sont donc peu satisfaisants.

Pierre Bordage ajoute que comme les évangiles ne sont pas des textes révélés, au contraire du Coran par exemple, ils sont sujets à interprétations et critiques. De plus, la tendance marquée par les évangiles acceptés par l'Église peut être très différentes de certains évangiles apocryphes, plus proches de spiritualités telles que le taoïsme ou les enseignements védiques. En ce sens, on peut établir un parallèle avec l’Histoire : sur une période comme la Révolution Française, par exemple, les historiens sont loin de s’accorder, ils ont un point de vue influencé. Caricaturalement, ils sont jacobins ou bien royalistes. La Bible n’est pas un document d’histoire, en ce sens que l’histoire est écrite de manière partiale : c’est l’histoire d’un peuple qui justifie sa propre démarche.

Science et religion


Qu’en est-il aujourd'hui ? Gérard Klein nous parle de deux tentatives avortées de construire une religion sur une base scientifique : le marxisme et la psychanalyse. Les deux, en effet, veulent transformer l’humain au sein de leur propre cadre idéal. Jung à son tour a voulu créer une religion laïque basée sur l’approche de l’inconscient.
Mais, comme le fait remarquer James Morrow, si l’on s’en réfère aux postulats épistémologiques établis par Karl Popper, les deux théories sont invérifiables, impossibles à falsifier, et donc non scientifiques.

Pour Gérard Klein, il y a effectivement une vision presque mystique chez Marx : le salut viendra du prolétariat. Cependant, en dépit d’une dimension spéculative, la théorie de Marx repose sur un authentique effort scientifique. De même, Freud a adopté une démarche strictement scientifique, qui constitue en une approche de l’inconscient au travers du langage. Il faut par ailleurs bien comprendre que les concepts freudiens tels que le moi, le surmoi ou le ça, ne sont pas des objets tangibles, localisables, mais des sortes « d’aides-mémoire métaphoriques ». Il s’agit, en somme, de catégories utilisées pour penser l’esprit humain.

Les dangers de la systématisation


Pierre Bordage reprend cette idée pour parler d’une « réification des catégories métaphoriques ». Ainsi, en religion on créé un système de pensée autour d’une expérience mystique qu’on n’a pas vécue, on réifie donc les catégories métaphoriques de la mystique, qui deviennent des éléments immuables d’un système de pensée figée. Selon lui, de même en science certains scientifiques agissent comme des évêques, réifiant les contenus de la science et en créant un dogme scientifique.
En Histoire par exemple, la Révolution Française est une sorte de « vache sacrée ». Il s’agit de la naissance de la république, on n’a pas le droit d’y toucher. Au sein même de la période concernée, on retrouve les mêmes problématiques, notamment avec Robespierre qui cherche à établir une nouvelle religion « rationnelle ». Selon l’écrivain, la science reproduit aujourd'hui les mêmes travers. Les systèmes de pensée, quels qu’ils soient, nous éloignent de ce que nous sommes. Et pourtant, l’exploration doit être tournée vers l’intérieur. En littérature, on peut effectuer cette exploration librement, et c’est même presque la mission de l’écrivain.

Le bénéfice du doute


Gérard Klein veut néanmoins nuancer cette critique du dogmatisme scientifique : en science, on passe son temps à auto-détruire ses propres affirmations, on se remet en question perpétuellement.
Pour James Morrow également, il y a des limites à l’affirmation qui veut que la science soit juste une autre forme de religion. La science ne va pas seulement à l’encontre des principes religieux, comme ça a été le cas avec le darwinisme, elle fournit une sorte de « vérité provisoire », qui est retravaillée au fur et à mesure de l’avancée des recherches. Einstein, par exemple, n’a pas renversé tout le système de Newton, il a simplement montré que ses théories n’étaient que des cas particuliers de la relativité générale. La science constitue donc en une communauté de l’esprit où les scientifiques construisent leur théories sur la base de celles de leur prédécesseurs.

Pour conclure, Pierre Bordage rappelle cependant que la vérité, même sur le plan de la rationalité, peut varier selon les perspectives, il faut donc toujours veiller à ne pas s’enfermer dans un quelconque système de pensée.


Pierre Bordage est écrivain et a présidé les Utopiales jusqu'à cette année. Sa bibliographie est trop imposante pour être rapportée ici, mais vous la connaissez sans doute :)
James Morrow est un romancier américain, auteur notamment de L'apprenti du philosophe, paru cette année au Diable Vauvert. Nous vous enjoignons vivement à découvrir cet auteur, d'une grande érudition mais jamais assommant. Œuvrant entre science-fiction et fantasy, il s'emploie à critiquer tous les systèmes de pensée, dès lors qu'ils sont dogmatisés.
Gérard Klein est économiste, mais on le connaît surtout pour l'énorme coup de pouce qu'il a donné à la science-fiction en France, notamment par l'intermédiaire de sa maison d'édition, Ailleurs et Demain. Auteur d'un grand nombre d'articles et d'essais critiques, il a reçu le Pilgrim Award pour l'ensemble de son œuvre.

vendredi 18 novembre 2011

Création du blog des Chemins de Traverse

Bonjour à tous!


Ceux d'entre vous qui nous connaissaient déjà ont pu le constater : Itinéraire Bis, le site de l'asso, est au point mort. Plusieurs explications à cela, la principale étant le crash imprévu de notre hébergeur. Grâce à Gradlon, webmaster altruiste et désintéressé, nous avons pu récupérer une partie des données, et retrouver un hébergement, chez OVH.

En attendant la prochaine mise en ligne d'un site tout neuf et parfaitement à jour (prévue courant janvier), nous vous proposons de suivre l'actualité des Chemins ici-même. Dates et comptes-rendus des ateliers, mais aussi interviews, articles de fond... Tout le contenu habituel du site sera disponible ici.

Il faut dire que nous ne sommes pas restés inactifs! Nous étions notamment présents aux Utopiales, où vous nous avez peut-être croisés, d'autant que l'équipe était cette année renforcée par Juliette et Clémence, prosélytes et enthousiastes : merci à elles!


Les comptes-rendus et interviews seront donc postés ici, au fur et à mesure de leur retranscription. A venir également, la remise en ligne du dossier  spécial Maghreb, dont la vie sur le web a été très courte, dans une version augmentée d'un article inédit sur la littérature contemporaine maghrébine.


Vous pourrez suivre facilement notre actualité puisque nous sommes également présents sur Twitter et Facebook.


A très bientôt!