jeudi 24 novembre 2011

Interview avec Thomas Geha

On a regardé ton blog ces derniers temps, et les critiques de ton dernier roman, La Guerre des Chiffonneurs. On a été un peu surprises par la chronique de Nébal : il a été très dur avec toi !

Oui, mais je m’en fous. Il fait ce qu’il veut, il critique des bouquins avec une certaine honnêteté intellectuelle et une certaine sincérité. Je l’ai bien cherché, c’est moi qui ai dit à mon éditeur de lui envoyer le roman, je suis un peu pervers moi-même. Je savais très bien comment allait se présenter sa chronique, j’ai pas été surpris du tout. Moi, ça ne me touche pas du tout. Je sais que ce bouquin-là n’est pas pour tout le monde. La Guerre des chiffonneurs, c’est publié chez Rivière Blanche, c’est un roman de gare...

Tu appelles ça toi même un roman de gare ?

Oui, tout à fait, pour moi ce n’est pas une insulte, le roman de gare c’est tout un art.

C’est ça qui me surprend, tu me sembles être dans un créneau très difficile.

C’est totalement assumé, Rivière Blanche n’a jamais caché sa ligne éditoriale, ils reprennent quand même la maquette du Fleuve Noir anticipation des années 70. C’étaient des bouquins qu’on achetait à la gare SNCF, qu’on lisait dans le train, et à la limite qu’on jetait après, qu’on oubliait tout de suite après la lecture. Mais moi ça me convient parfaitement. Si la personne qui le lit passe deux heures agréables dans le train, même si elle l’oublie après, je suis très content. Le livre ne se prend pas pour autre chose de toute façon. Ça n’empêche que je me suis éclaté à l’écrire, je suis quand même relativement content du bouquin.

C’est ça qui m’épate avec toi : contrairement à beaucoup de gens, tu as l’air d’assumer parfaitement de faire du divertissement, alors que la littérature est rarement considérée comme un divertissement.

Ah mais ça c’est typiquement français. Les anglo-saxons ne fonctionnent pas du tout comme ça, les Allemands non plus. On a qu’à voir comment les bouquins marchent encore en Allemagne. Quand on voit que la saga de science-fiction de Perry Rhodan, qui a plus de 2000 romans dans sa collection et que ça se vend encore à 100 000 exemplaires... le livre n’est pas mort en Allemagne. Mais ils ont gardé cet esprit populaire, ils lisent des romans de gare et ils s’en fichent. En France on n’a pas trop cet esprit-là, on a une culture littéraire, une grande culture, les plus grands auteurs du monde et de l’histoire de la littérature. On ne se prend vraiment pas pour des « merdes », désolé d’utiliser ce terme, mais on est très élitiste en France. La littérature populaire a toujours été mise de côté. Pourtant la littérature populaire n’est pas synonyme de merde, justement. Il y a de l’excellente littérature populaire. Dumas, c’était pas autre chose. Même Balzac ou Zola à leur époque n’étaient pas forcément considérés comme les plus littéraires, maintenant ils sont étudiés partout, et même à notre grand désespoir parfois. Ils étaient considérés comme des auteurs populaires, contrairement à des Flaubert, par exemple, qui ciselait tellement ses textes que ça en devenait trois fois sur quatre extrêmement chiant à lire. Salâmbo, c’est extrêmement ciselé, bien pensé, c’est baroque, c’est très beau, super enrichissant à lire, mais globalement, quand on finit le bouquin, on se dit qu’on s’est bien fait chier quand même. Donc non, je n’ai pas de problème avec ça, j’écris de la littérature de divertissement, pas que d’ailleurs, je me fais plaisir. J’ai pas l’impression d’être une sorte de monstre. Je le vois bien sur les salons, sur les ventes en librairie, je reçois des mails : il y a des gens qui adorent Le Sabre de Sang ou les Alone. L’autre jour, j’ai reçu un mail d’un gamin de treize ans que j’ai vu lors d’une rencontre à la médiathèque de Quimperlé, pour me dire qu’il avait adoré A comme Alone, que c’était son premier livre de SF et que maintenant il avait envie d’en lire d’autres. C’est aussi à ça que sert un bon roman de littérature populaire, ce sont des romans accessibles. Notamment pour les gamins, c’est une ouverture vers la lecture. Si j’engendre des choses comme ça en écrivant des bouquins comme Le Sabre de Sang ou les Alone, je suis très content.
Après, comme je le dis, je peux écrire autre chose. Mes nouvelles, je ne les écris pas de la même façon, pas avec le même horizon d’attente. Je les écris purement pour le côté expérimentation de la forme, du fond, et aussi pour le plaisir, et parce que je sais que ce n’est pas avec une nouvelle que je vais gagner ma vie. J’ai ce droit-là, je peux me faire plaisir comme je veux, même si la nouvelle n’est pas publiée. Effectivement elles sont peut-être un peu plus littéraires et moins accessibles que les romans, et encore ça reste à prouver car je n’ai pas l’impression d’être un auteur qui cherche la complexité, à part un peu dans la forme, pour les nouvelles.

À ce propos, as-tu été sollicité pour publier un recueil de nouvelles ?

J’ai un recueil de nouvelles qui sort en février aux éditions Critic, qui s’appelle Les Créateurs. Il contient six nouvelles, sélectionnées parmi celles que l’éditeur et moi considérons comme mes meilleures. elles sont pour la plupart déjà parues dans d’autres supports. Sumus Vicinae a été publiée dans l’anthologie Flammagories chez Argemmios, Là-bas, une nouvelle qui se passe à Prague a été publiée dans la revue Lunatique. J’ai sélectionné les textes que je préférais mais dans une optique un peu particulière, avec cette idée sous-jacente de création, qui me fascine. D’où on vient, qu’est-ce qu’on fait là ? Des questions que tout le monde se pose mais que parfois, on n’a pas vraiment envie d’explorer, parce que c’est effrayant de ne pas connaître notre place dans l’univers ni ce qu’on y fait. Quand j’écris des nouvelles, c’est souvent avec cette optique de voir cette idée de la création par le petit bout de la lorgnette, avec des personnages qui ont des fêlures, qui sont en quête d’eux-mêmes, ou qui se situent dans des univers complètement incohérents par rapport à celui que nous connaissons. On a donc sélectionné ces nouvelles par rapport à cette thématique-là. Après, les nouvelles sont assez différentes. La première par exemple, c’est une uchronie fantastique qui s’appelle La Voix de Monsieur Ambrose. Tu as un personnage qui est un acteur de théâtre, en 1888 si mes souvenirs sont bons. Ce qui m’a amusé dans cette nouvelle-là, c’est le côté créateur d’un acteur à cette époque-là, où il n’y avait pas toute la technologie qu’on a maintenant. Quand on était acteur, il fallait une voix qui portait pour accéder aux grandes salles. Là j’ai un acteur très talentueux, mais qui n’a pas la voix suffisante pour passer des petites salles aux grandes salles. Il a un certain succès à un moment, mais on finit par l’oublier parce qu’il ne peut pas accéder aux grandes salles. Et puis il y a le côté fantastique, quand il découvre une sorte de manuscrit coincé dans la reliure d’un Jules Verne, qui est devenu le Victor Hugo de ce dix-neuvième siècle complètement réinventé. Sa vie va basculer lors d’une audition qu’il va passer juste après, où sa voix va complètement changer et avoir la force suffisante pour accéder à ces fameuses grandes salles, et évidemment il ne sait pas d’où ça vient, le nœud de l’intrigue repose là-dessus. Les autres nouvelles sont dans cette veine-là, avec cette recherche de soi, des quêtes intérieures.

En tant qu’éditeur, tu recherches plus des romans populaires ou plutôt le côté expérimental, ou les deux ?

Alors la ligne éditoriale d’Ad Astra est absolument limpide et claire : je cherche du planet-opera ou du space-opera. Donc ce sont des genres qui appellent l’aventure, le côté populaire m’intéresse. Par contre, je ne me restreins pas à ces genres : j’ai une collection qui s’appelle Hors-Collection (sic), et où je mets absolument ce que j’ai envie de mettre. Ça marche au coup de cœur. Même si l’auteur a déjà fait quelque chose qui a fonctionné chez un autre éditeur, je ne vais pas le publier parce qu’il va en vendre plein. Je n’en ai rien à faire de ça, il faut que le texte me plaise, qu’il m’emporte, qu’il me fasse voyager. Les critères sont les mêmes dans la collection planet-opera, mais je me permets une plus grande ouverture dans le Hors Collection. J’ai publié une anthologie, Contes de villes et de fusée, avec des contes revisités, j’ai publié aussi le sketchbook d’Eric Scala qui est un livre d’art, le Sanshodo de Jean Milleman, fix-up de trois nouvelles pas vraiment du space-opera, même s’il y a des extraterrestres, c’est plutôt de la SF un peu philosophique, basée sur la philosophie zen entre autres. C’est très beau, limpide, super agréable à lire. Ce sont des livres qui m’ont surpris, que j’ai eu envie de publier. Je m’autorise tout. Si un auteur me plaît, je peux même aller le voir et lui demander s’il a quelque chose. C’est comme ça que ça se passe généralement. Je vais faire un recueil de nouvelles de Danielle Martinigol qui est connue comme un auteur de jeunesse. Ce sont des nouvelles qu’elle a publié au cours de sa carrière, des nouvelles adultes. Elle n’a jamais publié aucun seul ouvrage adulte, donc je répare cette erreur, cette incohérence. J’essaie de réparer des erreurs en publiant des bouquins que d’autres éditeurs ne publieraient peut-être pas et ne penseraient pas forcément à publier. Les recueils de nouvelles, personne n’en publie vraiment (Griffe d’Encre est une exception). Moi, je m’en fiche. J’adore les nouvelles, je publie des nouvelles. J’ai plein de projets dans ce sens-là. Par exemple, j’avais bien aimé deux romans chez Bragelonne, les romans Ta-shima d’Adriana Lorusso. Là c’est du pur space-opera. Je ne lui ai pas demandé un roman — d’ailleurs la série est arrêtée chez Bragelonne, voilà pourquoi je m’y suis finalement intéressé — on en a discuté, avec Adriana qui est une femme adorable et très talentueuse, et on a décidé de faire un recueil de nouvelles qui se passe dans cet univers-là. Vous voyez, je fais ce que j’ai envie de faire. J’ai pour l’instant cette liberté-là.

Quelle originalité on peut avoir dans un genre précis, comme le space-opera ? Tes textes sont souvent pas mal dans l’hommage, qu’est-ce qu’on peut apporter en revisitant quelque chose qui a déjà un certain passé ?

Je vais te donner une réponse assez simple : je pense que les auteurs passent leur temps à revisiter quelque chose qui a déjà été fait, et ce depuis l’Antiquité. On réinvente la matière qui préexiste déjà. Il y a deux génies peut-être par générations, qui arrivent à trouver des idées vraiment originales, sinon on réutilise la matière déjà existante, et on essaie de trouver des angles nouveaux, et à travers eux, on offre notre personnalité d’auteur. Je suis pas mal dans l’hommage, mais de moins en moins. Ça m’éclatait au départ, c’est quelque chose de très fun à faire. Mais au fur et à mesure qu’on écrit, on trouve sa personnalité. Pour A comme Alone c’est clairement un hommage à Julia Verlanger, mais dans Le Sabre de sang, l’hommage est déjà moins clair. Le Sabre de sang 1 est encore dans ce ton là, mais le tome 2 est totalement différent. Il n’est pas écrit de la même façon, ce n’est pas le même personnage principal et je me suis encore plus détaché de mes influences. Petit à petit, on acquiert notre personnalité d’auteur. Elle est déjà là, bouillante, mais il faut qu’elle s’affine, qu’elle s’affirme. Je pense que malgré tout que je serai toujours quelqu’un qui fera des petits clins d’œil dans ses livres car j’ai cette culture-là, de fan, de lecteur. J’ai envie de faire transpirer ça dans mes livres, on ne peut pas oublier ceux qui nous ont précédé car ils ont fait de nous ce que nous sommes.

C’est justement ton parcours de lecteur qui t’a donné envie d’écrire des romans ?

C’est une question un peu difficile, car j’ai commencé à écrire à 12 ans. À cet âge-là, on ne pense pas à rendre hommage, on fait de la copie. Quand j’étais gamin, je faisais du roman de chevalerie. Il faut bien démarrer par quelque chose, et on démarre par la copie, parce que des gens sont passés avant nous et ont écrit des choses qui nous ont tellement plu qu’on a d’un seul coup l’envie d’aller voir l’étape supérieure, c’est-à-dire de faire comme eux. Pour prolonger le plaisir.

Merci !

De rien, ça m’a fait plaisir !

4 commentaires:

  1. Sympa l'interview, j'aime bien sa vison des choses !

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  2. Oui, c'est d'ailleurs un point de vue que je partage en grande partie. Thomas Geha a la mérite de ne pas mâcher ses mots, j'apprécie :)

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  3. La franchise de Thomas Geha, j'adore ! Un de mes auteurs favoris ;-)

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  4. Contente que l'interview t'ait plue! Et merci d'avoir pris le temps de commenter!
    Kalys, pour Les Traverseurs

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