jeudi 1 décembre 2011

Utopiales 2011 : compte-rendu de conférence

Science-fiction et Histoire

avec Anne Larue, Lionel Davoust, Thierry DiRollo et Stéphane Poulain

Les écrivains et l'Histoire


Anne Larue s’intéresse particulièrement à la société en tant qu’elle est patriarcale, mais aussi à la notion d’oubli, aux civilisations qui se succèdent et se perdent.
Jean-Claude Dunyach, lui, cherche à comprendre l’Histoire en croisant les données, ce qu’on en a compris , avec les informations périphériques, dans une perspective relativiste selon laquelle l’Histoire se comprend différemment selon les époques.
Quant à Lionel Davoust, il s’y intéresse sous l’angle de la culture, et s'interroge sur l’interaction mutuelle entre Histoire et culture.
Thierry DiRollo explore son aspect politique , « les spoliations, l’exploitation, les trucs habituels, quoi ».
Pour Stéphane Poulain, enfin, l’Histoire est un récit en perpétuelle évolution et réinvention, et non pas un long récit qui serait déjà derrière nous, comme un livre qu’on pourrait parcourir.

Le récit est-il une mémoire fictive qui rejette l’altérité ?


Pour Jean-Claude Dunyach, l’écrivain de science-fiction oublie, réinvente, prolonge l'Histoire (en écrivant l'Histoire du futur), et fait coexister des Histoires différentes (notamment à travers les mondes parallèles). Il écrit des fins et des recommencements de l’Homme. Anne Larue s’interroge : comment notre époque pourrait-elle passer pour le Moyen-Âge dans les yeux d’une civilisation future, de la même façon que nous avons défini notre propre époque médiévale ? Cette dimension spéculative l’intéresse, car l’interprétation des événements change selon le cadre culturel dans lequel a lieu cette interprétation. Jean-Claude Dunyach ajoute que réinventer l’Histoire, c’est se réinventer soi-même, d’inventer ce qu’on aimerait être. Lionel Davoust enchaîne sur cette idée : et si on pouvait choisir l’Histoire, plutôt que de la subir ? Il nous parle alors des deux grands courants idéologiques qui l’ont inspiré pour la structure de son dernier roman, Léviathan : la main gauche et la main droite. Les idéologies relevant de la main droite postulent l’existence d’un ordre supérieur, tandis que celles qui relèvent de la main gauche sont fondamentalement individualistes.En choisissant une idéologie de la main gauche, il serait donc possible d’écrire sa propre histoire, puisqu’aucun ordre supérieur ne nous impose une destinée ou un code de conduite. Dans un cas, l’ordre supérieur écrit l’Histoire pour nous, dans l’autre, nous-mêmes, en tant qu’individus, la construisons.

Les « traces » de l’Histoire


L’Histoire, ce sont aussi les traces qu’on laisse. En ce sens, remarque Jean-Claude Dunyach, il est étonnant pour un Européen de se promener en Amérique et de ne trouver aucun monument, aucune « trace » de l’Histoire. Ces traces sont importantes, car elles peuvent constituer des réponses pour le futur au sein de ce qu’il appelle le « flou historique ». Il raconte une anecdote à ce sujet : quand il était jeune, lui et son père se trouvaient sur la place du marché de son village, qui était ancienne de plusieurs siècles. Ce jour-là, il était déprimé suite à une première histoire d’amour : les vie n’avait plus de sens, ne valait plus la peine d’être vécue. Il demanda son avis à son père, qui lui dit que l’un de ses aïeux s’était posé la même question, des siècles de cela, au même endroit. Et quelle était la réponse, alors ? demanda le jeune Jean-Claude. Son père lui rétorqua que le fait qu’il existe aujourd'hui répondait à sa question. Ce sont à travers ses traces, ces témoins du temps passé, que Jean-Claude Dunyach trouve son inspiration. Pour Stéphane Poulain cependant, ce besoin de laisser des traces marque un manque de confiance en soi, en son identité. Cela prouve qu’on est perdu, en quête de soi. Il raconte une anecdote à ce sujet : un musée au Québec voulut rendre hommage aux Indiens en plaçant dans une salle un totem. Mais le totem est fait pour se dégrader. S’il est en bois, c’est pour qu’il puisse se détériorer et ce faisant, nourrir la terre. Ce bel exemple des différentes visions culturelles de l’Histoire clôt cette table ronde.

Anne Larue est historienne de l'art, et auteur d'un roman, La vestale du calix.
Lionel Davoust est l'auteur du récent Léviathan, La chute, ainsi que d'une palanquée de nouvelles, toutes superbes.
Thierry di Rollo : programmeur, écrivain, et auteur du tout récent Bankgreen, primé cette année par Elbakin.
Stéphane Poulain, enfin, est un sympathique illustrateur et auteur jeunesse québécois. En octobre, il a sorti Au pays de la mémoire blanche, avec Carl Norac. Si l'on en croit l'exposition présentée aux Utopiales, c'est une fort belle œuvre!