mardi 29 novembre 2011

Utopiales 2011 : compte-rendu de conférence

L’imaginaire américain

avec Natacha Vas Deyres, Gilles Ménégaldo, et Glen Cook

Un monde nouveau

L’imaginaire américain, c’est d’abord l’imaginaire du Nouveau Monde, qui véhicule un ensemble de croyances mythico-géographiques autour du paradis terrestre. Lequel existerait bel et bien et se situerait en Amérique - c'est du moins la conception en vogue au moment de sa découverte.
La littérature n'a pas retenu grand-chose du dix-septième siècle, très puritain. L’imagination était alors coupable aux yeux des colons qui tentèrent d'en faire disparaître les productions.
Au 18ème siècle, cependant, la jeune Amérique tenta de conquérir son indépendance artistique en se détachant de l’influence du Vieux Continent. Les premières tentatives en ce sens furent donc des réadaptations de genres européens, afin de les ancrer dans un cadre spécifiquement américain. Ainsi, le roman gothique fut transposé aux États-Unis, dans les œuvres de Washington Irving, Edgar Poe, Nathaniel Hawthorne...

Washington Irving

Dans cet imaginaire proprement américain, émerge d’abord le concept de « wilderness », une nature indomptable, inconnue, immense et dangereuse. 
Avant de dire un mot de Poe, figure majeure si l'en est, Gilles Ménégaldo veut rappeler l’importance d’un autre auteur fantastique, Washington Irving. Il est l’auteur de Sleepy Hollow, paru en 1820, une nouvelle gothique dont la fin est porteuse d’un rêve typiquement américain : Ichabod Crane part vers l’Ouest, dans l’espoir de tout recommencer. On retrouve ici le mythe de la conquête de l’Ouest, qui est aussi une quête du recommencement. Washington Irving est également un précurseur de la science-fiction : dans sa nouvelle Rip Van Winkle, le personnage s’endort pour une période de vingt ans et se réveille dans une Amérique totalement bouleversée...

Quelques mots sur la science-fiction américaine

Natacha Das Deyres nous donne un cours express d’histoire de la SF américaine : dès les années 1910-1920, le space opéra apparaît en Amérique. Autour de l’imaginaire de la frontière et de la « wilderness », cette étendue indomptable, se construit l’imaginaire cyber-punk, où la wilderness devient le cyber espace, une frontière virtuelle au-delà de laquelle on ne maîtrise rien (cf. Neromancer, de William Gibson). On retrouve ici l’imaginaire du pionnier : il franchit les frontières et explore les territoires inconnus, qu’on peut mettre en parallèle avec un territoire intérieur, l’inconscience.

Lovecraft et l’Amérique

Un autre auteur important, dont nous parle maintenant Gilles Ménégaldo, est Lovecraft, dont l’œuvre se situe entre le fantastique, l’épouvante et la science-fiction. Il commence comme un imitateur de Poe, mais très vite, il construit son propre imaginaire, dans lequel on rencontre un troublant « relativisme cosmique », où par exemple l’Amérique n’est qu’un épiphénomène dans l’histoire de l’humanité. De même, dans Les Montagnes Hallucinées, une équipe scientifique envoyée au pôle nord découvre des extraterrestres qui nous ont créés, et pour lesquels nous ne sommes que des jouets amusants. Dans le monde de Lovecraft, l’Amérique est contaminée de l’intérieur, peuplée de créatures capables d’asservir l’humain. L’immigration est ainsi associée aux extraterrestres, les villes deviennent cauchemardesques. On a ici une authentique « xénophobie », la peur de l’altérité, de l’étranger, qui prend la forme chez Lovecraft d’extraterrestres, de dieux monstrueux, « d’entités » plus vieilles que l’univers... On ne peut parler de Lovecraft sans évoquer Howard, qui fait preuve d’une grande érudition historique et qui, à travers son œuvre, établit une histoire de l’homme à travers une histoire de la violence.

Pour conclure... Le super-héros américain

Qu’en est-il des super-héros, qui effectuent actuellement leur grand retour ? Selon Natacha Das Veyres, ils sont apparus dans les années 30, se sont éclipsés pendant la période de la Deuxième Guerre mondiale, avant de revenir en force aujourd’hui. Avec le temps, les super-héros sont de plus en plus attirés par un côté obscur, parfois sous l’effet de forces symboliques du mal. Par exemple, la personnalité de Spiderman est modifiée par un extraterrestre, ce qui le rend « maléfique ». L’extraterrestre est une figure qui représente l’altérité de deux manières opposées : dans Alien, elle représente clairement le mal, et peut même être interprétée comme une vision du diable. À l’opposé, l’extraterrestre de Spielberg représente l’altérité bienveillante, ouverte, à travers laquelle on peut apprendre et évoluer. Gilles Ménégaldo remarque que le rejet de l’altérité est bien visible dans ces nombreux films catastrophe où l’extraterrestre représente l’altérité dangereuse qu’il faut éradiquer, avec laquelle il est absolument impossible de communiquer. En tout cas, l’imaginaire américain moderne marque une grande tendance : c’est l’hybridation des genres, et le mélange des tonalités. Aujourd'hui, on peut même voir des western-films d’horreur !

Glen Cook est le célèbre auteur du cycle de la Compagnie Noire, mais il a brillé par son absence de répondant durant cette conférence, aussi je n’ai pas retranscris ses rares et brèves interventions.

Natacha Vas Deyres est professeur agrégée de Lettres Modernes, et spécialiste de la science-fiction contemporaine. Elle a récemment dirigé la publication d’un recueil d’études universitaires, L’Imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction. Pour plus d’information, voir la présentation du site Actu SF.

Gilles Ménégaldo est professeur de littérature américaine et de cinéma. Il a notamment écrit un grand nombre d’articles dont certains sont disponibles sur la base de donnée Cairn. Ça a l’air passionnant, alors pour vous donner envie à vous aussi, voici quelques titres : « De l’écrit à l’écran : Dracula, avatars et mutations d’une figure gothique », « Le système des couleurs dans Sleepy Hollow de Tim Burton : hommage et signature d’auteur », « Résurgences gothiques et société postmoderne dans la littérature d’horreur populaire », etc.

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