L’imaginaire américain
avec Natacha Vas Deyres, Gilles Ménégaldo, et Glen Cook
Un monde nouveau
L’imaginaire
américain, c’est d’abord l’imaginaire du Nouveau Monde, qui véhicule un
ensemble de croyances mythico-géographiques autour du paradis terrestre.
Lequel existerait bel et bien et se situerait en Amérique - c'est du
moins la conception en vogue au moment de sa découverte.
La
littérature n'a pas retenu grand-chose du dix-septième siècle, très
puritain. L’imagination était alors coupable aux yeux des colons qui
tentèrent d'en faire disparaître les productions.
Au
18ème siècle, cependant, la jeune Amérique tenta de conquérir son
indépendance artistique en se détachant de l’influence du Vieux
Continent. Les premières tentatives en ce sens furent donc des
réadaptations de genres européens, afin de les ancrer dans un cadre
spécifiquement américain. Ainsi, le roman gothique fut transposé aux
États-Unis, dans les œuvres de Washington Irving, Edgar Poe, Nathaniel
Hawthorne...
Washington Irving
Dans cet imaginaire proprement américain, émerge d’abord le concept de
« wilderness », une nature indomptable, inconnue, immense et dangereuse.
Avant de dire un mot de Poe, figure
majeure si l'en est, Gilles Ménégaldo veut rappeler l’importance d’un
autre auteur fantastique, Washington Irving. Il est l’auteur de Sleepy Hollow,
paru en 1820, une nouvelle gothique dont la fin est porteuse d’un rêve
typiquement américain : Ichabod Crane part vers l’Ouest, dans l’espoir
de tout recommencer. On retrouve ici le mythe de la conquête de l’Ouest,
qui est aussi une quête du recommencement. Washington Irving est
également un précurseur de la science-fiction : dans sa nouvelle Rip Van Winkle, le personnage s’endort pour une période de vingt ans et se réveille dans une Amérique totalement bouleversée...
Quelques mots sur la science-fiction américaine
Natacha
Das Deyres nous donne un cours express d’histoire de la SF américaine :
dès les années 1910-1920, le space opéra apparaît en Amérique. Autour
de l’imaginaire de la frontière et de la « wilderness », cette étendue
indomptable, se construit l’imaginaire cyber-punk, où la wilderness
devient le cyber espace, une frontière virtuelle au-delà de laquelle on
ne maîtrise rien (cf. Neromancer, de William Gibson). On retrouve
ici l’imaginaire du pionnier : il franchit les frontières et explore
les territoires inconnus, qu’on peut mettre en parallèle avec un
territoire intérieur, l’inconscience.
Lovecraft et l’Amérique
Un autre
auteur important, dont nous parle maintenant Gilles Ménégaldo, est
Lovecraft, dont l’œuvre se situe entre le fantastique, l’épouvante et la
science-fiction. Il commence comme un imitateur de Poe, mais très vite,
il construit son propre imaginaire, dans lequel on rencontre un
troublant « relativisme cosmique », où par exemple l’Amérique n’est
qu’un épiphénomène dans l’histoire de l’humanité. De même, dans Les Montagnes Hallucinées,
une équipe scientifique envoyée au pôle nord découvre des
extraterrestres qui nous ont créés, et pour lesquels nous ne sommes que
des jouets amusants. Dans le monde de Lovecraft, l’Amérique est
contaminée de l’intérieur, peuplée de créatures capables d’asservir
l’humain. L’immigration est ainsi associée aux extraterrestres, les
villes deviennent cauchemardesques. On a ici une authentique
« xénophobie », la peur de l’altérité, de l’étranger, qui prend la forme
chez Lovecraft d’extraterrestres, de dieux monstrueux, « d’entités »
plus vieilles que l’univers...
On ne peut parler de Lovecraft sans évoquer Howard, qui fait preuve
d’une grande érudition historique et qui, à travers son œuvre, établit
une histoire de l’homme à travers une histoire de la violence.
Pour conclure... Le super-héros américain
Qu’en
est-il des super-héros, qui effectuent actuellement leur grand retour ?
Selon Natacha Das Veyres, ils sont apparus dans les années 30, se sont
éclipsés pendant la période de la Deuxième Guerre mondiale, avant de
revenir en force aujourd’hui. Avec le temps, les super-héros sont de
plus en plus attirés par un côté obscur, parfois sous l’effet de forces
symboliques du mal. Par exemple, la personnalité de Spiderman est
modifiée par un extraterrestre, ce qui le rend « maléfique ».
L’extraterrestre est une figure qui représente l’altérité de deux
manières opposées : dans Alien, elle représente clairement le
mal, et peut même être interprétée comme une vision du diable. À
l’opposé, l’extraterrestre de Spielberg représente l’altérité
bienveillante, ouverte, à travers laquelle on peut apprendre et évoluer.
Gilles Ménégaldo remarque que le rejet de l’altérité est bien visible
dans ces nombreux films catastrophe où l’extraterrestre représente
l’altérité dangereuse qu’il faut éradiquer, avec laquelle il est
absolument impossible de communiquer.
En tout cas, l’imaginaire américain moderne marque une grande tendance :
c’est l’hybridation des genres, et le mélange des tonalités.
Aujourd'hui, on peut même voir des western-films d’horreur !
Glen Cook est le célèbre auteur du cycle de la Compagnie Noire,
mais il a brillé par son absence de répondant durant cette conférence,
aussi je n’ai pas retranscris ses rares et brèves interventions.
Natacha
Vas Deyres est professeur agrégée de Lettres Modernes, et spécialiste
de la science-fiction contemporaine. Elle a récemment dirigé la
publication d’un recueil d’études universitaires, L’Imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction. Pour plus d’information, voir la présentation du site Actu SF.
Gilles
Ménégaldo est professeur de littérature américaine et de cinéma. Il a
notamment écrit un grand nombre d’articles dont certains sont
disponibles sur la base de donnée Cairn. Ça a l’air passionnant, alors
pour vous donner envie à vous aussi, voici quelques titres : « De
l’écrit à l’écran : Dracula, avatars et mutations d’une figure
gothique », « Le système des couleurs dans Sleepy Hollow de Tim Burton :
hommage et signature d’auteur », « Résurgences gothiques et société
postmoderne dans la littérature d’horreur populaire », etc.
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